Je m’appelle Lylou, j’ai 34 ans et je vis en Savoie. Mon mari, Anthony, est tétraplégique, et je l’accompagne au quotidien en tant qu’aidante familiale. Ce rôle fait partie de ma vie depuis plusieurs années, avec tout ce que cela implique : les joies, les difficultés, les démarches, et l’adaptation permanente.
Si je témoigne aujourd’hui, c’est parce que la loi de 2005 a un impact direct sur notre quotidien, et j’aimerais partager mon expérience pour qu’on puisse mieux comprendre les réalités des personnes en situation de handicap et des aidants.
L’accessibilité, c’est toujours une aventure. Il y a des lieux accessibles, bien sûr, mais encore trop qui ne le sont pas, ou alors de manière bancale. On s’est souvent retrouvés dans des situations improbables : une rampe tellement raide que j’ai dû pousser Anthony comme si on escaladait une montagne, des ascenseurs en panne, des trottoirs trop hauts, des portes trop étroites… Et bien sûr, les fameuses toilettes PMR pleines de balais et de cartons.
C’est d’ailleurs pour ça qu’Anthony ne veut pas de fauteuil électrique. Avec un manuel, on arrive parfois à s’en sortir en improvisant, en le soulevant ou en demandant un coup de main. Mais ça ne devrait pas être la norme. Il ne devrait pas avoir à choisir entre son autonomie et le risque d’être bloqué quelque part.
Les transports en commun ? On a vite abandonné. Trop de contraintes, trop d’inconnues. Il faudrait prévenir à l’avance, espérer que le matériel fonctionne, que quelqu’un soit là pour aider… Trop d’organisation pour ce qui devrait être simple.
Alors oui, il y a des endroits où ça se passe bien, mais il y en a encore beaucoup trop où on doit se battre pour quelque chose d’aussi basique que sortir de chez soi. L’accessibilité, ce n’est pas un luxe, c’est ce qui permet juste de vivre normalement, sans devoir réfléchir à chaque déplacement comme une mission à haut risque.
Obtenir ses droits quand on est en situation de handicap, ce n’est pas seulement une question de dossier à remplir. C’est un véritable parcours du combattant où il faut constamment se battre pour prouver des besoins pourtant évidents.
Des inégalités aberrantes entre départements
L’un des aspects les plus frustrants, c’est que les droits ne sont pas les mêmes partout en France. Selon le département où l’on vit, on n’a pas accès aux mêmes dispositifs, ni aux mêmes facilités. En Savoie, par exemple, il est toujours impossible de lisser les heures d’aide humaine sur six mois, alors que cette mesure existe ailleurs depuis 2020. Pourquoi une personne avec le même handicap devrait-elle avoir plus ou moins d’aides simplement parce qu’elle vit à un endroit différent ?
Des démarches trop lourdes et épuisantes
Même quand les aides existent, les obtenir est une autre histoire. Les dossiers sont longs, complexes et demandent une quantité énorme de justificatifs. Et encore, une fois qu’une aide est accordée, il faut régulièrement la renouveler, comme si un handicap lourd pouvait disparaître avec le temps. Même si certains renouvellements sont passés à 10 ans, il reste encore trop de démarches inutiles qui ne tiennent pas compte de la réalité des personnes concernées.
Des délais qui pénalisent les bénéficiaires
Attendre plusieurs mois, voire un an, pour obtenir une réponse, c’est la norme. Et pendant ce temps, on fait comment ? Les personnes en situation de handicap doivent souvent avancer les frais ou s’organiser autrement, faute d’un système réactif. Ce qui devrait être un droit devient une bataille permanente, et c’est décourageant.
L’accès aux droits ne devrait pas dépendre de la capacité à se battre sans cesse contre l’administration. Il devrait être simple, égal pour tous, et surtout, respectueux des réalités du quotidien.
La MDPH est censée être l’interlocuteur privilégié des personnes en situation de handicap et de leurs familles. En réalité, c’est souvent une source de stress et d’incompréhension.
Une gestion opaque et incohérente
Le problème principal avec la MDPH, c’est que les décisions ne sont pas toujours logiques ni justifiées. Après plus de 10 ans avec un certain volume d’heures d’aide humaine, Anthony s’est vu retirer près d’une centaine d’heures, sans explication valable. Quand nous avons contesté, on nous a dit qu’il fallait « équilibrer avec les autres bénéficiaires ». Depuis quand l’accompagnement du handicap fonctionne-t-il avec des quotas ?
Des évaluations qui ignorent la réalité
Lors de la commission, on m’a demandé : « Mais madame, pour vous, c’est quoi ? » Comme si, parce que nous sommes en couple, c’était désormais à moi de compenser la perte de ces heures. C’est exactement ce qui ne va pas dans le système actuel : on part du principe que les proches doivent tout prendre en charge, au détriment de leur propre vie. Être en couple ne devrait jamais être un critère pour revoir à la baisse une aide essentielle.
Des disparités territoriales dans la prise en charge
Tout comme pour l’accès aux droits, la MDPH ne fonctionne pas de la même manière partout. Certains départements appliquent des dispositifs facilitant le quotidien des personnes handicapées, d’autres sont en retard. En Savoie, par exemple, certaines aides ou aménagements déjà en place ailleurs n’existent toujours pas. Cette injustice territoriale est incompréhensible.
Une attente interminable pour des décisions essentielles
Les délais d’instruction des dossiers sont bien trop longs. Il faut parfois attendre plus d’un an pour obtenir une réponse, ce qui met les familles en difficulté. Et quand une demande est refusée, les recours prennent encore plus de temps, plongeant les personnes concernées dans l’incertitude et la précarité.
La MDPH devrait être un soutien, un accompagnement, mais trop souvent, elle devient un obstacle. Au lieu d’aider, elle complique, et au lieu de faciliter, elle met des freins. Les personnes handicapées et leurs aidants n’ont pas besoin de batailler avec l’administration, elles ont besoin de solutions concrètes et adaptées à leurs réalités.
Les services médico-sociaux sont censés être un soutien, une aide essentielle pour les personnes en situation de handicap. Dans la réalité, c’est une catastrophe.
Pour les soins, Anthony a tout simplement abandonné. Trop de galères, trop de complications, trop de déceptions. Entre les délais interminables, le manque de professionnels formés au handicap, l’accessibilité des lieux qui laisse à désirer et la sensation de ne jamais être réellement pris en charge comme il le faudrait, ça ne vaut même plus la peine d’essayer.
On pourrait s’étaler sur le sujet, sur tous les problèmes qu’on a rencontrés, mais honnêtement, ça n’en vaut même plus la peine. Ce qui est censé être un droit fondamental – avoir accès à des soins adaptés et de qualité – est devenu une épreuve de trop. Alors on fait autrement, on se débrouille, on évite les consultations inutiles et on gère comme on peut.
Mais ce n’est pas normal. Personne ne devrait avoir à renoncer à ses soins parce que le système ne suit pas.
Même si nous ne sommes pas directement concernés par l’école aujourd’hui, on ne peut pas ignorer les difficultés que rencontrent les enfants en situation de handicap. Trop souvent, les familles doivent se battre pour obtenir une AVS (Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap), et quand elles l’obtiennent, ce n’est pas toujours à temps ni avec les heures nécessaires.
L’inclusion scolaire est un beau principe sur le papier, mais dans la réalité, elle est encore loin d’être bien appliquée. Il manque du personnel formé, du matériel adapté et surtout une vraie prise en compte des besoins spécifiques de chaque enfant. Beaucoup de familles finissent par se tourner vers des solutions alternatives ou se résignent à voir leur enfant en difficulté faute de moyens suffisants dans le système éducatif classique.
L’école devrait être un droit accessible à tous, sans que ce soit un combat permanent pour les familles concernées.
L’accès à l’emploi pour les personnes en situation de handicap reste un énorme défi. Pour Anthony, comme pour beaucoup d’autres, il n’a jamais été question d’abandonner l’idée de travailler, mais les obstacles sont nombreux :
Trop peu d’entreprises réellement inclusives, malgré les obligations légales.
Un manque d’adaptations aux postes de travail.
Des préjugés persistants sur les capacités des personnes en situation de handicap.
Même dans le domaine du numérique, où Anthony évolue, il doit constamment prouver que son handicap ne l’empêche pas d’être performant. Pourtant, il existe des solutions, des aménagements, des technologies qui permettent aux personnes en situation de handicap de travailler efficacement. Mais encore faut-il que les employeurs soient sensibilisés et prêts à faire les efforts nécessaires.
L’accès à l’emploi ne devrait pas être un parcours du combattant. Il faut un vrai changement de mentalité et plus de soutien pour que les personnes handicapées puissent travailler dans de bonnes conditions, sans avoir à constamment justifier leur place.
Être aidant, ce n’est pas juste un rôle, c’est une histoire d’amour, de partage et de résilience. Je le crie haut et fort : oui, je dois être là pour lui, et je le suis, et je le resterai. Parce que c’est lui, parce que c’est nous, parce qu’aimer, c’est aussi accompagner.
Mais il y a une énorme différence entre aider et tout gérer seule. Aider, c’est être un soutien, un repère, une présence indispensable. Mais quand tout repose sur une seule personne, l’équilibre devient fragile.
Si aujourd’hui, beaucoup d’aidants sont au bord de l’épuisement, ce n’est pas seulement parce qu’ils se dévouent à leur proche, c’est surtout parce qu’ils n’ont pas le choix. Il manque du personnel, et encore plus, du personnel formé. Trop souvent, les auxiliaires de vie ne sont ni assez nombreux, ni préparés aux réalités du handicap, et beaucoup finissent par partir, laissant les familles seules face à des responsabilités écrasantes.
Et ce n’est pas normal. L’amour ne devrait pas être une excuse pour remplacer un système défaillant. Oui, certains font le choix de se consacrer entièrement à leur proche, et c’est une démarche admirable. Mais il y a aussi tous ceux qui aimeraient pouvoir concilier ce rôle avec leur propre vie, sans pour autant avoir l’impression d’abandonner.
On devrait pouvoir être aidant sans avoir à tout sacrifier. On devrait pouvoir aimer et accompagner, sans que cela signifie s’oublier totalement. Parce qu’aimer, c’est aussi savoir demander de l’aide, et que personne ne devrait être laissé seul face à cette responsabilité immense.
Il y aurait tant de choses à dire… mais si je devais résumer, ce serait que tout est trop compliqué pour les personnes en situation de handicap et leurs familles.
Ce qui frappe le plus, c’est le fossé entre les lois et la réalité. Sur le papier, il y a des aides, des dispositifs, des engagements pour l’inclusion et l’accessibilité. Mais dans la vraie vie, on se heurte à des lenteurs administratives, des décisions absurdes, un manque de moyens criant et des inégalités selon les régions.
Et au-delà de ça, il y a aussi une réalité qu’on oublie trop souvent : le handicap est devenu un business. Les magasins de matériel médical vendent tout à des prix exorbitants, et les entreprises d’aide à domicile facturent des prestations au prix fort, parfois avec un service qui laisse franchement à désirer.
D’ailleurs, la gestion des boîtes d’aide à domicile est catastrophique. Du moins, toutes celles que je connais. Il y a un manque flagrant de personnel formé, des plannings qui changent sans arrêt, des absences non remplacées, et une organisation qui repose plus sur la débrouille que sur un vrai cadre structuré. On nous vend de l’aide, mais au final, c’est souvent plus de stress qu’autre chose.
De tous les côtés, on n’est pas aidés. Entre les structures saturées, les professionnels en sous-effectif, les démarches interminables et les aides qu’on nous enlève au moindre prétexte, on passe plus de temps à essayer de compenser les manques du système qu’à réellement vivre.
Il est urgent d’écouter réellement les personnes concernées, pas seulement de modifier quelques lignes de loi sans tenir compte du terrain. On ne devrait pas avoir à lutter en permanence pour simplement vivre dignement.